samedi 30 avril 2011

Rapport d'incident - 2.2

Naissance du Démon ou comment nous sommes devenus monstrueux (2)


Nous faisions cours de 10h30 à 12h30 dans le Saints des Saints lycéens de la littérature : le Centre de Documentation et d’Information, le CDI. Alors que nous étions ainsi accueillis au cœur de ce sanctuaire de silence et de paix, je recommandai aux élèves le plus grand recueillement devant les Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau. Certains élèves priaient avec tant de dévotion, que je ne sais quel diable me piqua, mais une influence maléfique prit possession de mon corps professoral pour m’intimer l’ordre de faire taire ces prières sous prétexte qu’elles étaient trop bruyantes. J’eus même l’outrecuidance de m’en prendre aux plus fidèles admirateurs de Rousseau : M. Sambade et M. Saïdaoui notamment... Poussant jusqu’au bout la folie, le démon dogmatique et autoritaire que j’étais devenu décida, après maintes réprimandes scandaleuses, de sanctionner les plus dévots pour « bavardages » : M. Saïdaoui et M. Sambade. Ce dernier n’écoutant que son cœur, pris alors d’une juste colère, replia avec fracas son cahier. Sans doute  était-ce une provocation pour exorciser le démon qui s’était emparé de son cher professeur, qui tonna alors : « Si vous refusez de travailler, vous sortez ! ». Serein, et sûr du bien-fondé de sa cause, M. Sambade croisa les bras en signe de juste protestation, pour répliquer en des propos réfléchis et mesurés : « Non ! Je sors pas ! » Mais le dragon ne s’avoua pas sitôt terrassé, si bien que dans un sursaut, il beugla : « Si vous ne sortez pas, alors vous travaillez ! ». Notre chevalier répondit après mûre mais prompte réflexion : « Non ! Je travaille pas ! ». Pris par une ire immense et insondable, je m’entendis tonitruer : « Ne vous inquiétez pas, je ne manquerai pas de rendre compte de votre attitude dans mon prochain rapport d’incident ! ». La riposte ne se fit pas attendre : « Si ça vous amuse… »
        Le monstre que j’étais, sur le point de rendre les armes, fut sauvé par les camarades du brave croisé qui eurent pitié de leur professeur possédé : ils poussèrent M. Sambade à gracier le démon et à rouvrir son cahier afin de reprendre le texte sacré de Rousseau et d’en lire enfin le second paragraphe. Ce qu’il tâcha de faire, un peu contre son gré, parce que le brave ne doit pas paraître baisser les bras devant un ennemi à ce point inique.
      Cette iniquité, les plus preux ne purent la tolérer sans mot dire, et quelques élèves se piquèrent une nouvelle fois d’épouser la cause du valeureux opprimé. Et notamment, d’une manière bien surprenante, le discret M. Moussamouni qui fit pourtant réellement tout pour calmer les ardeurs chevaleresques de son camarade, m’interpella en ce sens : d’autres étaient en train de bavarder et je ne leur disais rien... Tandis que, à bout de nerfs et comme dans un dernier râle, le succube en moi lui fit remarquer qu’il faisait preuve de quelque paranoïa à croire que j’en avais spécialement contre eux, M. Moussmouni rétorqua : « Vous me parlez pas comme ça ! Je vous préviens, moi, ça va pas être comme avec Sambade ! »…

     A ce jour, une partie de la classe semble avoir entamé une guerre sainte contre l’injustice diabolique de leur professeur…
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