lundi 25 avril 2011

Un jour, le crime

"Comme nous amerions, nous qui nous voulons sages, imputer tous les crimes à des déments possédés par le Mal ! Un crime inhumain ne saurait être commis que par des non-humains."
J.-B. Pontalis, Un jour, le crime (éd. Gallimard, 2011, p. 21)

Raconter les monstres, comme raconter les héros, nous rassurerait donc... Rien de très nouveau sans doute, si ce n'est peut-être une éthique littéraire à en tirer : forcer le lecteur à "être à la verticale de lui-même", à s'interroger sur ce qui pousse en lui de criminel et à assumer la porosité entre les frontières du bien et du mal.

Une nouvelle éthique littéraire ? Serait-ce montrer combien un acte a priori monstrueux peut trouver en réalité des explications dans la complexité de l’existence ? 
Oui, il est certainement plus facile de dénoncer le monstre que de le comprendre – ce qui ne signifie assurément jamais de l’excuser, ni l’exonérer de sa responsabilité. Pas plus que la vie ne produit réellement de héros, elle ne produit de monstres.
En fin de compte, on peut se demander si la littérature ne devrait pas être une sorte de tribunal virtuel : comme l’exige l’institution judiciaire, il ne s’agit à aucun moment de juger des monstres, mais seulement des hommes et des femmes dont il reste à déterminer la personnalité, les intentions et, finalement, la part exacte de responsabilité dans les actes commis. Il faut se souvenir cependant que cette institution judiciaire fut en un sens elle aussi criminelle, et à son tour monstrueuse : c'était l'époque où, justement, on faisait du criminel un monstre tel que l'on pouvait nier son humanité...

"Le premier criminel de l'histoire de l'humanité, Caïn, porte en lui son propre châtiment : la culpabilité. Celle-ci est autant le fruit de son remords que celui du jugement implacable de Dieu dont le sixième commandement ordonne "tu ne tueras point".

Caïn est un fratricide.
Il ouvre le ban de crimes et meurtres de toutes espèces, parricide, infanticide, régicide, génocide.
Car le mal, introduit dans l'Eden par ses parents, est en chaque homme.

Eternel puni et fugitif, Caïn pose, au-delà de la question de la culpabilité, celle de la punition.
Dieu ne lui ôte pas la vie. Au commandement de Dieu et à la grâce qu'il accorde au fils d'Adam, les hommes répondent cependant par la peine capitale."
(Exposition Crime et Châtiment, sur un projet de Robert Badinter
et dont Jean Clair fut le commissaire général, Musée d'Orsay, 2010)

9 commentaires:

  1. "Le premier criminel de l'histoire de l'humanité, Caïn, porte en lui son propre châtiment : la culpabilité"....interprétation; de toute manière, caïn n'a pas le choix, il doit tuer abel, c'est le prix de la vie.

    "Car le mal, introduit dans l'Eden par ses parents, est en chaque homme." ...haha, et c'est quoi le mal dans un monde où personne ne sait dire ce qu'est le bien? ^^

    "Eternel puni et fugitif, Caïn pose, au-delà de la question de la culpabilité, celle de la punition"....non, ou alors il faut définir ce qu'il pourrait éventuellement fuir.

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  2. Merci pour ce commentaire. Vous avez sans doute raison de poser, me semble-t-il, la question da la culpabilité de Caïn. Nous touchons ici du doigt une question qui est fondamentale depuis la tragédie antique, et que les trois monothéismes ne règlent certainement pas (peut-être au contraire) : je veux parler de la question de la liberté humaine et, corrélativement, de sa responsabilité. Dès que l’on accepte l’existence d’un dieu omnipotent et sage, comment admettre qu’il y ait, au moins en dernière instance, un autre coupable que ce dieu lui-même ? Et pourtant, l’acte commis, les dieux tranchent toujours, même s’ils se permettent de gracier ensuite.

    Toutefois l’important de ce mythe biblique, et de la réflexion de Badinter & co., est d’affirmer combien l’homme est un être qui ne peut justement pas prétendre à cette omniscience et cette omnipotence divine : il ne peut jamais décréter absolument la culpabilité d’un homme et ne peut encore moins s’arroger le droit d’une sanction définitive.

    La vérité judiciaire n’est pas la vérité divine !...

    Je vous recommande ainsi vivement la lecture de ce billet mis en ligne sur le blog de Me Eolas : http://www.maitre-eolas.fr/post/2011/02/07/Les-boules

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  3. Ne pas oublier évidemment enfin ceci : le fait que nous soyons en un sens tous potentiellement criminels (mais que signifie "potentiellement"?), ne veut pas dire que le crime, et la souffrance qu'il génère, n'existent pas...

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  4. sur la notion de culpabilité, le mythe le plus intéressant est celui de prométhée: à la fin, prométhée passe son temps enchaîné à un rocher géant et tous les matins un aigle vient lui dévorer le foie; à l'époque, le foie désignait le siège du sentiment de culpabilité^^

    les débats sur le judiciaire m'intéressent peu ou pas du tout: quand on voit que le mot juste ne signifie que "qui va dans le sens de mon intérêt" et que tout le reste est à des degrés divers plus ou moins injuste, on cesse de prendre au sérieux des choses comme la justice de ce monde.

    de plus, au rayon de la morale, il est difficile de dépasser ceci: 80% des richesses produites par ce monde est réservée à 15% de sa population; 100 millions++ (135 millions en 2005) de personnes meurent de la famine chaque année depuis 30 ans (alors que les moyens techniques seuls permettent de nourrir tout le monde^^),faites le calcul.
    avec un tel profil de génocideur, quelle culture peut prétendre à un degré d'évolution tel qu'il lui permette de développer un point de vue moral, quel qu'il soit?

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  5. Un point d'accord au fond (un truisme sans doute) : l'absolue justice n'est ni humaine ni terrestre. Il est certainement révoltant de s'apercevoir que les hommes ne sont ni des dieux ni des héros. Peut-on espérer qu'il en va de même de l'absolue injustice, et qu'il n'y a pas de monstres non plus ? Aussi vous admettez "des degrés divers plus ou moins injustes"...

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  6. au niveau d'un stade dit par convention "absolu", il n'est ni justice ni injustice, ces catégories s'effondrent en même temps que les murailles de troie. à peu près au même moment où l'on reconnaît que l'altruisme n'est qu'une forme sophistiquée d'égoïsme, par exemple.
    les "degrés divers" sont toujours préludes à la création d'échelles de "valeurs" (soi-disant); or, en plaine, les échelles ne sont pas d'une grande utilité (sauf, peut-être quand on veut écrire un poème à dimension fixe et non polysémique, mais cela relève plus d'un choix artistique qu'autre chose)

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  7. Belle entreprise ambulante de démolition d'échelles dans le désert... Ne seriez-vous pas justement ce guerrier touareg errant dans les plaines arides de l'absolu, traînant derrière lui son esquif pour s'embarquer sur le moindre mirage aux allures de raz de marée ?

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  8. pas vraiment, disons que je ressemble plus à une friche de printemps assise sur un lac (peut-être que ça revient au même, après tout:)); en fait, tout n'est que prétexte à écrire un poème

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  9. par exemple:

    CRIME EN HIVER

    Raconter les monstres
    En souriant sans complexe
    Narrer les fleurs de cobalt
    Emergeant des charniers

    Embaucher des snipers
    Au son mélodique de katiousha
    Pour élaguer les nuages
    Et vitrifier la beauté

    Vaporiser le jade
    Sur des torrents de poussière d'or
    Laver l'argent à l'acide
    En régénérant la couleur

    Tout ça juste pour dire
    Qu'en-dehors d'un sourire
    Surfant sur un missile sol-air
    Seul un feu d'artifice

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