mercredi 27 avril 2011

Faut-il tisser l'etoffe des heros ?

Dans son roman intitulé Contretemps, Bernardo Toro fait dire à son narrateur : 
« Il n'y a de héros que dans la tête des gens, 
il n'y a de héros que parce que nous ne révélons jamais 
les mobiles souterrains de nos actes. » 



Cependant, Odile Faliu et Marc Tourret expliquent dans leur article, « Le héros de demain », (publié sur le site de l’exposition virtuelle de la Bnf, intitulée Héros, d’Achille à Zidane) : 
« l’histoire de l’imaginaire nous montre qu’assumer les héros, 
c’est accepter l’homme dans ses rêves, 
comme dans ses cauchemars. [1] »

Ainsi il faudrait pouvoir tenir les deux ensemble : affirmer que les rêves et les cauchemars existent, sans omettre de dire les mobiles souterrains plus ordinaires. Quel genre de personnage émergera de ce vide abyssal entre la boue dans laquelle nous nous débattons, et les étoiles vers auprès desquelles ne pouvons que nous brûler les ailes ? Faut-il bâtir un héros pour le couvrir ensuite, par un regard ironique, de goudron et de plumes ? Pourquoi pas ?...


Deux réponses possibles en apparence issues de deux courants radicalement opposés : le naturalisme (c'est-à-dire le réalisme dans ce qu'il a en un sens d'extrémiste par ses prétentions scientifiques), puis la Nouvelle Fiction.


- Emile Zola écrit en effet à Henry Céard en 1885 :
« Vous n'êtes pas stupéfait, comme les autres, de trouver en moi un poète. J'aurais aimé seulement vous voir démonter le mécanisme de mon œil. J'agrandis, cela est certain ; mais je n'agrandis pas comme Balzac, pas plus que Balzac n'agrandit comme Hugo. Tout est là, l’œuvre est dans les conditions de l'opération. Nous mentons tous plus ou moins, mais quelle est la mécanique et la mentalité de notre mensonge ? Or - c'est ici que je m'abuse peut-être - je crois encore que je mens pour mon compte dans le sens de la vérité. J'ai l'hypertrophie du détail vrai, le saut dans les étoiles sur le tremplin de l'observation exacte. La vérité monte d'un coup d'aile jusqu'au symbole. »

- Francis Berthelot écrit, de son côté, dans un article du Magazine Littéraire (n°392 - 01/11/2000) intitulé « La Nouvelle Fiction » :
« Pour reprendre les termes de J.-L. Mo­reau : "[…] Elle [La Nouvelle Fiction] démasque la fiction inavouée de notre représentation du réel et relance du même coup la quête infinie du sens."
On lui a reproché, comme à toutes les littératures savantes, de pratiquer un élitisme abscons ; et, comme à toutes les fictions transgressives, de ne pas être ancrée dans la réalité. Autant de critiques infondées, qui ne peuvent survivre à une analyse sérieuse. Tout en menant, non sans clins d'œil, sa réflexion sur l'art et sur le monde, la Nouvelle Fiction prend soin de captiver Jules et Margot, amuser l'un, faire pleurer l'autre, et vice versa. Quant à la crasse du caniveau, des hôtels borgnes et des parkings, elle n'a pas peur de s'y aventurer. Mais ce n'est ni pour rouler ni pour y enfermer le lecteur. Bien au contraire, c'est avec la volonté, en façonnant la boue, de l'élever d'un souffle jusqu'aux étoiles pour en tirer contes, récits et sagas à l'image de l'homme. »

S'agit-il dans ces deux cas au fond de fuir la réalité dans la fiction ? S'agit-il de donner à la réalité une cohérence fictive qui la travestirait ou, pire, l'enfermerait dans un mensonge totalitaire ? Les "détails vrais" de Zola, comme la "boue" de Berthelot, prendraient une place alors dans cet écrin formidable de la fiction. L'enjeu, au contraire, serait tout en donnant un sens poétique à la réalité par la fiction, d'assumer pourtant nos rapports à la réalité dans ce qu'ils ont de plus contingents et fangeux... Non pas un écrin, mais une châsse de cristal...
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[1] Les auteurs de cette page ont expliqué auparavant (dans la même page) que "les héros des uns sont parfois des monstres aux yeux des autres et inversement. "L’Histoire avec sa grande hache" nous a appris que les héros furent à la fois nos bourreaux et nos sauveurs. "Il y a des héros en mal comme en bien", écrivait déjà La Rochefoucauld dans ses Maximes, et de nos jours encore, l’héroïsme peut être un idéal défendu et utilisé par ceux qui en appellent d’autres à se sacrifier pour eux."

A lire ?: Une démence ordinaire de Nicolas Grimaldi (éd. Puf, 2009) 



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