samedi 23 avril 2011

Avertissement ambigu

Avertissement ambigu - aux frileux qui n’aiment pas plonger  la tête la première , et autres esprits critiques


Un lecteur érudit verra sans doute, dans les pages dédiées à nos Rapports d'incident, le « péché d’idolâtrie » dont parle Marcel Proust pour qualifier « une infirmité essentielle à l'esprit humain » : péché qui consiste à fondre la réalité dans le moule des oeuvres d’art, péché qui rend impossible toute perception de la vie ordinaire sans qu’elle soit préalablement digérée par des sucs littéraires et artistiques.
Et le lecteur, même inculte, verra ainsi peut-être dans ces pages une triple faute : une faute envers soi-même, une faute esthétique, et enfin aussi une faute éthique ; c’est-à-dire à la fois un « manque de sincérité », à la fois une cécité à la beauté ordinaire des choses, et, dans le même temps, un crime de lèse-altérité – refusant d’accorder aux autres ce qui leur revient : leurs pensées intimes, leur identité propre, leur personnalité. Aussi ces pages seraient-elles trois fois criminelles.

Cependant, cher lecteur, permettez à l’auteur de se moquer, pour quelques pages seulement, un peu de ces griefs, de vivre en pécheur certes, mais de vivre, parce qu’il vit dans un monde, qui, s’il était définitivement abandonné des dieux et des héros, lui serait insupportable (comme il le serait sans doute par nombre de personnages qui le peuplent). Permettez-lui donc au moins de croire encore en quelques idoles – même s’il les sait façonnées dans les vieux chiffons volés de nos rêves : le pécheur et le criminel connaissent au fond bien leurs forfaits. Permettez-lui enfin, confrère lecteur, d’habiller malgré tout une poignée de misérables avec des costumes taillés à leur mesure dans une étoffe dérobées aux héros.
Mais croyez bien à votre tour, cher collègue, que ces idoles, avec toutes leurs grimaces et leur pantomime n’ont pas rien à revendiquer – armés qu’ils sont ainsi, pauvres bonshommes, avec des épées recyclées, heaumes à la visière grinçante et autres écus rouillés… Osons croire que la peau colle toujours un peu à l’armure et que cet héroïsme de mascarade donne un peu plus de sens à la vie ordinaire.
Enfin, si nous avons certainement tous un peu de l’âme de don Quichotte, et, si nous ne voulons pas en pleurer, il ne nous reste qu’à en rire – la larme à l’oeil…

(Tristan Clément Nivose)

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