Cosméline est entrée en cours encore en retard et
d’une humeur orageuse. Au bout de quelques instants elle se mit à scander que
ça sentait le « brûlé », qu’il y avait sans doute le feu et enjoignit
à plusieurs reprises ses camarades à sortir. Elle ébaucha ainsi un mouvement
d’évacuation, et il nous fallut un certain sang froid pour ne pas succomber à
la panique…
Heureusement, l’un des élèves eut pitié de son
misérable professeur : il expliqua tout en deux mots, au risque de voir
fondre sur lui les foudres de Cosméline, qui doit compter parmi ses ascendants
quelque dieu grec. Or donc, en fait d’odeur de « brûlé », il
s’agissait des cheveux noirs de notre héroïne. Sa duperie démasquée, Cosméline
prit le parti de s’en amuser et de s’en faire une fierté, un étendard : elle
prit à pleine main une mèche de cheveux rongée par le feu, et dans un éclat de
rire, la brandit du mieux qu’elle put.
Lorsque j’osai lui réclamer son carnet de liaison pour
en discuter à la fin de l’heure, Cosméline refusa aussitôt de me le donner, niant
donc l’autorité du triste et dérisoire être humain que j’étais - ma fonction de
professeur ne pouvait-elle donc pas me fournir quelque dignité ?
Mais, même issus de quelque divinité, et sans doute en
raison même de cette origine sacrée, les héros savent être charitables ; Cosméline
finit donc par faire comme si mes dérisoires menaces pouvaient la
toucher : elle me tendit son carnet – détournant cependant son visage
céleste de ma face méprisable.
Peu de temps après, bien avant la fin du cours, Cosméline
s’apprêtait à sortir : elle souhaitait, nous dit-elle, « se
changer ». Une héroïne ne peut se laisser aller. Je le savais. Pourtant
une honteuse rancœur me poussa à m’opposer à cette sortie intempestive. Forte
de son droit (divin), Cosméline insista ardemment : il ne s’agissait pas
de permettre le déroulement d’un cours qui entravait sa sublime liberté et risquait d’entacher sa beauté qui se
fanait à vue d’œil. Le cours se poursuivit malgré tout : sans doute ne
peut-on pas reprocher à Cosméline de ne pas connaître la pitié.
Mais un tel être a des exigences que le
commun des mortels ne peut saisir. L’instant d’après, Cosméline interrompit
encore le cours car elle désirait cette fois aller à l’infirmerie : elle
avait avalé le capricieux piercing qu’elle tâchait de positionner depuis
quelques minutes. Je ne sais quel fol et mesquin esprit de vengeance m’anima
alors : je refusai à nouveau : voulais-je l’étouffer ? Sa nature
divine lui permit évidemment de survivre à la suite du cours.
Puis elle se leva sans autorisation pour jeter un
papier à la poubelle. Lorsque je lui dis qu’elle n’avait pas à se lever ainsi,
et que le papier pourrait attendre la fin de l’heure pour être jeté, elle se
mit en devoir de me pousser gracieusement et répéta au moins quinze fois :
« mais ça m’encombre !... » En fait d’encombrement, Cosméline
est assise seule à une table prévue pour deux personnes, mais quoi ! on
laisserait cohabiter sur le même plateau la pureté de ses mains avec les
ordures ! Elle finit par retourner à sa place : le cygne sait que ses
plumes ne peuvent être souillées.
Pour désapprouver, Cosméline se contenta d’émettre un
bâillement tonitruant et moqueur. Puis d’elle-même, elle prit ses affaires et s’installa au fond de la
classe, assez loin de ma présence lamentable.
Elle interpelait désormais ses camarades sur des
sujets autrement plus fondamentaux que les accords du participe passé : la
tache noire sur le tee-shirt d’Untel, le futur tatouage d’Unetelle, les dires
et les amours enfin d’Unetelle et d’Untel.
J’avais pu m’apercevoir que, tout en dissertant, Cosméline
semblait se refaire une beauté à l’aide d’un miroir – sorte de miroir de poche
pliable qu’elle ouvrait et refermait à sa guise dans la paume de sa main avec
une aisance déconcertante, à croire qu’elle était née avec, à l’image d’Athéna,
née casquée. Mais son agitation gênant le cours, je dus interrompre son
activité esthétique afin de la mettre moi-même vraiment à l’écart à une autre
table, plus au fond de la classe. Me dirigeant vers elle qui refusait évidemment
de recevoir quelque injonction que ce soit, j’aperçus sur sa table, à côté de
son miroir rouge, une lame de rasoir.
Elle fit aussitôt disparaître l’objet en prenant ses
affaires pour se déplacer une dernière fois enfin. Lorsqu’elle se fut
installée, je lui réclamai évidemment la lame de rasoir. Cosméline
fit mine de ne pas comprendre de quoi je parlais : mes yeux malades et
mortels étaient victimes d’hallucinations…
Jusqu’à la fin du cours, qui avait consisté essentiellement
dans l’admiration de notre héroïne, celle-ci tenta de continuer à interpeler
ses camarades, refusa catégoriquement de faire le travail demandé (sur
feuille), allant jusqu’à se couvrir entièrement la tête de son manteau. Sans
doute en profitait-elle pour se prodiguer, dissimulée aux regards indiscrets,
les soins esthétiques nécessaires à son rang.
Lorsque la sonnerie retentit, Cosméline
se dirigea vers la porte, je l’arrêtai et, comprenant sans doute que je la
retiendrais jusqu’à ce qu’elle me remît la lame de rasoir, Cosméline,
les sourcils parfaitement taillés en pointe, au rasoir, déposa l’objet
sur mon bureau, en me lançant : « Allez ! C’est bon !
Tenez ! » Puis, dans un nouvel éclat de rire, elle franchit aussitôt
la porte de la salle comme emportée par quelque vent supra-lunaire.
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